Approfondissements

Rêves et spiritualité

Chaque rêve peut être considéré comme un message venu de ce que Jung appelle le Soi. Ce centre a une fonction auto-régulatrice. Il vise au développement bio-psychique optimum de l’être (du bébé au vieillard), et plus particulièrement dans la seconde partie de la vie il tend à l’individuation c’est-à-dire à la pleine réalisation des capacités et de la destinée d’un individu donné. Le travail conscient sur les rêves et leur interprétation permet d’accélérer notablement ces processus naturels, en vue de viser la pleine réalisation de l’individu (personnelle, voire transpersonnelle et spirituelle). Le Soi est en effet l’archétype central de l’ordre et du sens de notre vie, et c’est lui qui organise tous les autres archétypes dans l’inconscient (la mère, le père, l’ombre, l’anima ou l’animus, etc).

L’interprétation des grands rêves archétypiques et spirituels intéresse particulièrement les personnes qui ont effectué une psychanalyse qui a d’ores et déjà permis le nettoyage de leur inconscient personnel, mais qui voient alors se multiplier les grands rêves provenant de l’inconscient collectif, sans avoir le spécialiste compétent (notamment en cas d’analyse freudienne ou lacanienne) pour en comprendre la valeur et les interpréter. Les jungiens prennent traditionnellement le relais dans ce domaine archétypique et/ou spirituel. Un travail d’accompagnement spirituel basé sur les rêves peut ainsi être mis en œuvre.

L’archétype du Soi est à la source de toutes les religions, dans leur étonnante diversité. La psychologie jungienne permet d’unir science psychologique et religion. Elle constitue ainsi une voie très moderne, et surtout personnalisée, d’accès à la spiritualité. Pour ceux qui sont attirés par le domaine spirituel, le travail sur les grands rêves peut permettre ultimement de faire l’expérience personnelle de l’origine transcendante de notre condition, ce qui apportera sens, paix intérieure et réalisation de soi. Il permet aussi, c’est une de ses conséquences, de devenir authentiquement soi-même, et de réaliser une éventuelle vocation. Dans certains cas il s’agira de revivifier totalement la religion d’origine. L’accès à de véritables expériences spirituelles est également ouvert, si c’est la destinée de la personne. Cela concerne en fait les êtres en quête spirituelle, attirés par leurs rêves et le monde intérieur inconscient, et qui sentent intuitivement la puissance et la fécondité de la voie initiatique jungienne. Certes c’est un cheminement long et difficile ; la persévérance est nécessaire, induite par une pulsion profonde de réalisation. Le «trésor difficile à atteindre» relève d’une quête exigeante, mais pour certains cette œuvre de longue haleine sera sentie comme un appel incontournable. JUNG, dans son autobiographie intitulée « Ma vie » (p. 369-370), insiste sur la nécessité vitale pour certains de découvrir un contact réel avec le monde spirituel : « Pour l’homme la question décisive est celle-ci : te réfères-tu ou non à l’infini? […] L’illimité est l’essentiel […] nous comprenons et sentons que, dès cette vie déjà, nous sommes rattachés à l’infini.[…] Finalement nous ne valons que par l’essentiel, et si on n’y a pas trouvé accès la vie est gaspillée »

Progresser dans la réalisation de la sagesse des rêves

Les rêves perdent peu à peu leur insignifiance habituelle pour devenir riches de contenu (et ils sont plus nombreux à rester en mémoire). Car l’inconscient est stimulé par l’intérêt accru que lui porte le conscient. Un véritable dialogue se crée entre le monde intérieur inconscient et le conscient. La condition de cette évolution est la prise de conscience progressive de l’utilité et de la valeur des rêves , et donc de vaincre l’opinion dominante selon laquelle « ce ne sont que des rêves ».

Au début de la psychanalyse on s’aperçoit qu’un sens caché du rêve peut se révéler, mais seulement grâce à une interprétation, comme pour une langue étrangère ou un rébus; mais plus on s’intéresse à nos rêves, plus ceux-ci deviennent denses et riches de signification.

On s’aperçoit vite que des thèmes apparaissent dans les rêves, correspondant à certains complexes inconscients ; les rêves établissent alors un bilan de la situation intérieure du sujet.

On comprend peut à peu que le monde intérieur inconscient propose ces thèmes afin qu’ils soient traités grâce au travail sur soi; en fait tout rêve vient du Soi, le grand organisateur et régulateur de notre inconscient.

On se rend peu à peu compte que les rêves et l’inconscient savent mieux que notre égo conscient qui l’on est vraiment, quels sont nos complexes à traiter, nos potentialités, et même notre chemin de vie. La place centrale de notre égo et de notre conscient est alors relativisée. Il existe en nous une instance qui nous dépasse (sur-ordonnée à notre ego, dit Jung). Une découverte étonnante qui remet en question notre vision du monde.

Les rêves archétypiques et de Soi se développent à une certaine étape; ils ne relèvent pas de l’inconscient personnel. Leur numinosité nous interpellent et nous forcent à prendre en considération leur aspect religieux, de sagesse, de transcendance de l’espace et du temps. Sans parler des synchronicités possibles, dans lesquelles un événement extérieur correspond mystérieusement avec un phénomène intérieur par un lien de sens.

La vision dominante, ainsi que celle notre culture rationaliste et souvent anti-religieuse, sont alors fortement remises en question par ces expériences personnelles vécues et probantes. Le réel n’est pas ce que l’on croyait. On se convainc de plus en plus, avec une certaine résistance certes, de l’existence d’une autre dimension de la réalité, transcendante, organisée par l’archétype central du Soi, archétype de l’ordre et du sens. Celui-ci met en œuvre notre individuation, le sens de notre vie, dans le but d’un épanouissement de nos capacités (personnelles, voire transpersonnelles pour ceux que ce domaine intéresse).

On s’aperçoit ensuite qu’un véritable dialogue intérieur est possible entre notre moi et le Soi, notamment par le canal des rêves ; une sorte de conversation qui consolide une progressive union harmonieuse entre conscient et inconscient, aboutissant à terme à l’ unification intérieure, à l’individuation pleinement réalisée.

Le Soi nous demande ultimement de mettre en œuvre dans la vie concrète ce que nous avons acquis par le travail de nettoyage des complexes et la réunification intérieure. Et aussi parfois de nous mettre à son service, ce qui lui permet de se réaliser lui-même à travers nous. Notre réalisation du moi est ainsi suivie de la réalisation du Soi en nous. Le Soi (Dieu en nous) a besoin de nous pour s’incarner en ce monde. La voie initiatique jungienne ouvre ces immenses perspectives à l’homme moderne.

Connaissance de soi et du Soi

« Connais-toi toi-même et tu connaîtras le monde et ses dieux » (inscrit au fronton du temple de Delphes ; repris par Socrate)

Le complément de psychanalyse à visée spirituelle correspondrait à la troisième étape d’une psychanalyse jungienne « aboutie » : l’intégration du Soi.

La première est consacrée à l’intégration de l’ombre : celle du refoulé présent dans l’inconscient et notamment lié à la mère, au complexe d’Oedipe – dans sa version jungienne – à de nombreux autres complexes et aux symptômes qu’ils créent, à des potentialités oubliées du conscient. Il s’agit de dissoudre les complexes, fixations et identifications, et de retirer certaines projections.

La deuxième étape est l’intégration de l’anima (pour un homme) ou de l’animus (pour une femme), à savoir de l’univers symbolique opposé à celui de son propre sexe ; par exemple un homme pourra « intégrer son féminin », et s’unifier ce faisant.

Ces trois étapes d’une psychanalyse jungienne ont été historiquement préfigurées par cette spiritualité pluri-millénaire qu’est l’alchimie : œuvre au noir (nigredo), œuvre au blanc (albedo), œuvre au rouge (rubedo).

Toutes les religions sont des systèmes symboliques basés notamment sur l’archétype du Soi . La compréhension de l’ « unité transcendante des religions » entraîne une grande tolérance et éloigne de tout sectarisme et de tout fondamentalisme. Toutes les spiritualités émanent du Soi. On peut aussi utiliser la fameuse image des sentiers spirituels qui se rejoignent tous au sommet embrumé de la montagne.

Bibliographie

  • Livres essentiels contemporains :
    • Bertrand de la VAISSIERE : « Le travail des rêves en psychothérapie analytique jungienne » 
    • Etienne PERROT : « La voie de la transformation », « Les rêves et la vie »
    • Frédéric LENOIR : « Jung, un voyage vers soi » (2021- bonne introduction à l’univers jungien)
    • Pierre TRIGANO et Agnès VINCENT : « Fondation de la psychanalyse symbolique », « Le sel des rêves »
  • Des classiques :
    • Carl Gustav JUNG : « L’homme et ses symboles », « Ma vie »,« Psychologie et religion »
    • Marie-Louise VON FRANZ : « La quête du sens »
    • Edward EDINGER : « La création de conscience »
  • En anglais :
    • Lionel CORBETT : « The Religious Function of the Psyche », « The Sacred Cauldron »
    • David TACEY : « The Darkening Spirit », « Jung and Spirituality »
    • Ann BELFORD ULANOV : « The Unshuttered Heart », « The Psychoid, Soul and Psyche »
    • John DOURLEY : « On Behalf of the Mystical Fool »